Nous voici arrivés au terme de ce débat sur le projet de loi portant statut de la Nouvelle-Calédonie et dépendances.
Tout au long des discussions, j’ai recherché le dialogue. Je n’ai été ni bien compris ni bien entendu.
La légitimité du peuple kanak, son droit inné et actif à l’indépendance sont en définitive bafoués par le texte présenté aujourd’hui en troisième lecture.
En effet, le peuple kanak, premier occupant du territoire, restera étranger dans son propre pays, car le colonisateur, au travers de ce statut, disposera des
droits à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple colonisé.
Le seul souci de la France est de se maintenir dans le Pacifique. Pour ce faire, elle privilégie les intérêts des Européens et des autres émigrés. Elle bafoue ainsi
toutes les paroles données avant 1981 par le parti socialiste et le parti communiste et la déclaration de Nainville-les-Roches sur le droit inné et actif du peuple
kanak à l’indépendance. C’est la seule raison qui vous a conduit à déclarer, à tort, que ma proposition de loi est inconstitutionnelle.
Au surplus, la France reste colonisatrice jusque dans ses modes de pensée. Et j’ai honte pour vous de ce dédain, de ce dénigrement dont vous avez fait
montre en permanence lorsque vous parlez de mon peuple.
Comment la puissance colonisatrice peut-elle, en effet, prétendre être garante de tout ce qu’elle a elle-même bafoué pendant cent trente ans et, surtout,
comment peut-elle prétendre que ceux qui ont été colonisés seront aussi intolérants qu’elle l’a été elle-même ? C’est bien mal connaître notre civilisation. Vous
avez d’ailleurs avoué tout au long des débats que vous ne la connaissiez pas.
En 1931, dans le cadre de l’exposition coloniale, la France a exposé des Kanaks en les prétendant encore cannibales. Parmi ces prétendus sauvages, l’un est
devenu conseiller territorial et trois autres ont exercé les fonctions de maire ! À votre façon, vous continuez la même propagande éhontée !
Pour toutes ces raisons, vous avez choisi pour votre statut une stratégie que vous n’avez cessé de qualifier de “ligne de crête”. Vous êtes en effet persuadés
que la Nouvelle-Calédonie doit être gouvernée au centre. Vous faites ainsi le jeu des forces les plus réactionnaires de Nouvelle-Calédonie et celui de petites
formations politiques séduites par votre statut parce qu’il représente pour elles une chance inespérée de paraître plus importantes qu’elles ne sont et ne
seront jamais.
Cette stratégie de prétendue décolonisation ne pourra certainement pas donner le change. La manœuvre est classique : cela s’appelle diviser pour régner.
Mais, très vite, le miroir aux alouettes va se ternir. Vos alliés vont bientôt déchanter puisque aucune garantie exigée par le Front indépendantiste n’est inscrite
dans le projet de loi lui-même. Le Front indépendantiste refuse d’entrer dans votre jeu.
Je vous mets solennellement en garde contre les risques de déstabilisation que vous aurez vous-mêmes engendrés, avec votre ligne de crête justement.
Notre dignité d’hommes est profondément blessée par les déclarations selon lesquelles l’indépendance kanake serait raciste.
Si les propos de la plus haute autorité de l’État, rapportés par M. le sénateur Ukeiwé, lors de la seconde lecture au Sénat, le 26 juillet 1984, sont véridiques,
qu’attendre encore de la France ?
Je suis arrivé à un âge avancé. J’ai soixante-dix-sept ans et ma carrière politique s’échelonne sur trente et une années au service de mon peuple, années de
vicissitudes ! J’ai bien l’intention de voir mon pays accéder à l’indépendance de mon vivant. Aller dans votre sens, ce serait y renoncer. Je voterai donc contre
le projet de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, au cours des différents débats, j’ai toujours recherché le dialogue, je le répète. Le projet de loi qui sera adopté ne prend pas en
considération toutes les aspirations des Kanaks. Notre volonté et notre détermination, vous les connaissez. Au cours du septennat de l’actuel Président de la
République, j’entends que le référendum soit organisé et que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance.
Nous avons une parole. J’espère que le Gouvernement ne prendra pas les moyens que suppose la formule “diviser pour régner”.
La Nouvelle-Calédonie doit accéder à l’indépendance dans la paix et le Gouvernement doit continuer à nous écouter. Trop de fois, nous avons été blessés.
Nous sommes sceptiques. Nous jugerons le Gouvernement non sur ses déclarations mais sur ses actes.
Discours reproduit par