Déclaration des experts de l’ONUi sur les droits des Peuples Autochtones Kanak dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie et l’Accord de Nouméa.

La situation dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie reste extrêmement volatile et incertaine. Nous sommes très préoccupés par l’absence de dialogue, l’usage excessif de la force, le déploiement continu des forces militaires et les rapports continus de violations des droits de l’homme qui ont ciblé des milliers d’Autochtones Kanaks pour avoir pris part à des manifestations depuis mai 2024.

D’après les informations reçues, au moins 6 manifestants Kanaks auraient été abattus et 169 autres auraient été blessés. Plus de 2235 manifestants ont été arrêtés, dont beaucoup arbitrairement arrêtés et détenus, et des dizaines d’entre eux ont été déportés vers la France métropolitaine. 500 personnes Kanakes auraient été victimes de disparitions forcées. Des informations font également état d’allégations de criminalisation de défenseurs des droits de l’homme Kanaks par l’application abusive du droit pénal.

Le manque de retenue dans l’usage de la force contre les manifestants Kanaks, et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d’un conflit dont l’objet est la revendication par un Peuple Autochtone de son droit à l’autodétermination, est non seulement anti-démocratique, mais profondément inquiétant pour l’Etat de droit. Comme le rappelle la résolution 2625 de l’Assemblée générale, « Les Etats ont le devoir de s’abstenir d’actes de représailles impliquant l’emploi de la force. Tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l’égalité de droits et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. »

Nous sommes conscients que des actes de violence ainsi que des dommages aux biens privés et publics ont été commis par certains manifestants. Cependant, les moyens utilisés, la gravité des violences rapportées, l’intensité de la réponse répressive et le caractère raciste et discriminatoire de certains actes de violence, ainsi que le nombre de morts et de blessés, d’arrestations et de détentions arbitraires et de disparitions forcées sont alarmants.

Nous sommes particulièrement préoccupés par les allégations de violences à caractère raciste commises par des milices armées, qui ont causé la mort de 3 manifestants Kanaks. Le gouvernement français doit prendre des mesures pour enquêter sur les violences commises lors de ces manifestations et traduire leurs auteurs en justice. Des mesures doivent être prises immédiatement pour dissoudre ces milices armées.

Nous sommes également préoccupés par certains développements qui montrent une tentative de démanteler l’Accord de Nouméa, feuille de route du processus de décolonisation. La consultation sur la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie s’est tenue le 16 décembre 2021 en pleine épidémie de COVID-19 et en plein deuil coutumier observé par le Peuple Kanak, malgré l’opposition des autorités et des organisations coutumières Kanakes. Cette consultation a été marquée par un taux d’abstention exceptionnel de plus de 43%, remettant en cause la légitimité même de cette consultation. L’Assemblée nationale française a adopté le 14 mai 2024 un projet de loi modifiant le corps électoral, faisant sauter l’un des fondements de l’Accord de Nouméa, qui est précisément le gel du corps électoral en Nouvelle Calédonie. Un autre projet de loi, le projet « Marty », qui aurait totalement éliminé d’autres acquis majeurs de l’Accord de Nouméa concernant la reconnaissance de l’identité et des institutions Autochtones Kanak, du droit coutumier et des droits fonciers coutumiers, a également été élaboré en octobre 2023.

Les droits fondamentaux à la participation, à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé du peuple Autochtone Kanak et des institutions coutumières Kanakes

n’ont manifestement pas été respectés dans aucun de ces processus. En outre, la tentative de démantèlement de l’Accord de Nouméa, un accord qui a ramené la paix après des années de conflit sanglant au cours desquelles plus de 90 personnes ont trouvé la mort, porte atteinte à l’intégrité de l’ensemble du processus de décolonisation.

Nous demandons instamment au gouvernement français d’engager rapidement un dialogue avec le Comité spécial de la décolonisation et les institutions coutumières Kanakes pour trouver une solution pacifique au conflit. Dans l’intérêt de la sécurité juridique et du respect des droits de l’homme du Peuple Autochtone Kanak, et en particulier de son droit à l’autodétermination, le gouvernement français se doit de respecter le principe de l’irréversibilité de l’accord de Nouméa qui, conformément à l’engagement pris par la France au titre de l’article 5, doit être protégé par la Constitution jusqu’à ce que le territoire accède à la pleine souveraineté. Nous avons été informés qu’à l’issue des élections législatives françaises, le projet de loi modifiant la composition du corps électoral a été suspendu, mais nous demandons son abrogation complète.

Statement of the United Nations expertsii on the rights of Kanak Indigenous People in the Non-Self-Governing Territory of New Caledonia and the Nouméa Accord

The situation in the Non-Self-Governing Territory of New Caledonia under French administration remains extremely volatile and uncertain. We are very concerned by the absence of dialogue, the excessive use of force, the ongoing deployment of military forces and the continued reports of human rights violations that have targeted thousands of Kanak Indigenous People for taking part in protests since May 2024.

Based on the information received, at least 6 Kanak demonstrators would have been shot, and 169 others would have been injured. More than 2,235 protestors were reportedly arrested, many of them arbitrarily arrested and detained, and dozens of them were deported to mainland France. 500 Kanak persons would have been victims of enforced disappearance. We also received information about the alleged criminalisation of Kanak human rights defenders through the abusive application of criminal law.

The lack of restraint in the use of force against the Kanak demonstrators, but above all the exclusively repressive and judicial handling of a conflict whose object is the claim by an Indigenous People to its right to self-determination, is not only anti-democratic, but deeply worrying for the rule of law. As mentioned in Resolution 2625 of the General Assembly, “States have a duty to refrain from acts of reprisal involving the use of force. Every State has the duty to refrain from any forcible action which deprives peoples referred to in the elaboration of the principle of equal rights and self-determination of their right to self-determination and freedom and independence”.

We are aware that some acts of violence as well as damage to private and public property were committed by certain demonstrators. However, the response means used, their intensity and repressive nature, the seriousness of the violence reported, the racist and racially discriminatory nature of certain acts of violence, as well as the number of deaths, injuries, arbitrary arrests, detentions and enforced disappearances are alarming. We are particularly concerned by allegations of racially motivated violence committed by armed militias of settlers, which caused the death of 3 Kanak protesters. The French Government must take steps to investigate the violence committed during these demonstrations and bring the perpetrators to justice. Measures should be taken immediately to disband these armed militias.

We are also concerned by some developments which show an attempt to dismantle the Nouméa Accord, roadmap of the decolonization process. The consultation on the

sovereignty of New Caledonia was held on 16 December 2021 during the COVID-19 pandemic and customary mourning period observed by the Kanak People, despite the objection of Kanak customary authorities and organisations. The consultation was marked by an exceptional abstention rate of over 43%, calling into question the very legitimacy of such consultation. The French National Assembly adopted on 14 May 2024 a bill modifying the composition of electoral body, blowing up one of the corner stones of the Nouméa Accord which is precisely the freezing of the electoral body of New Caledonia. Another bill, the « Marty » project, which would have eliminated other major achievements of the Nouméa Accord in relation to the recognition of Kanak Indigenous identity and institutions, customary law and customary land rights, was also elaborated in October 2023.

In all such processes, the basic rights to participation, consultation and free, prior and informed consent of the Kanak Indigenous People and customary institutions clearly have not been respected. In addition, the attempt to dismantle the Nouméa Accord, an Accord which brought back peace after years of bloody conflict during which more than 90 people died, undermines the integrity of the overall decolonization process.

We urge the French Government to engage rapidly with the Special Committee on Decolonization and the Kanak customary institutions to find a peaceful solution to the conflict. In the interests of legal certainty and respect for the human rights of the Indigenous Kanak People, and in particular their right to self-determination, we call on the French government to respect the principle of the irreversibility of the Nouméa Accord, which, in accordance with France’s commitment under Article 5, must be constitutionally protected until the territory achieves full sovereignty. We have been informed that in the result of French legislative elections the bill modifying the composition of electoral body has been suspended, however we call upon its complete repeal.

i Les experts : Jose Francisco Cali Tzay, Rapporteur Spécial sur les droits des Peuples Autochtones, Gina Romero,

Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ; Ashwini K.P., Rapporteuse Spéciale sur les formes contemporaines de racisme, Irene Khan, Rapporteuse Spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression

ii The experts: Jose Francisco Cali Tzay, Special rapporteur on the rights of Indigenous Peoples, Gina Romero,

Special Rapporteur on the rights to Freedom of Peaceful Assembly and of Association; Ashwini K.P., Special Rapporteur on contemporary forms of racism, racial discrimination, xenophobia and related intolerance, Irene Khan, Special Rapporteur on the right to freedom of opinion and expression