Le 18 novembre 1984 : Boycott du statut Lemoine – petit rappel historique
Isabelle Leblic
8/11/2016
(https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/081116/le-18-novembre-1984-boycott-du-statut-lemoine-petit-rappel-historique)
La « valse des statuts »[1]
Adaptation extraite de Isabelle Leblic, 1993. Les Kanak face au développement. La voie étroite, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
Les indépendantistes du FLNKS boycottent les élections territoriales proposant un énième statut, le statut Lemoine, alors qu’ils réclamaient l’indépendance. Ce boycott du 18 novembre, aboutissement d’une longue dégradation de la situation des Kanak, suite à leur intégration de la vie politique du territoire de par la loi-cadre, a été le début des Événements et du processus en cours actuellement.
Entre 1969 et 1984, une valse-hésitation se produit au niveau statutaire : un pas en avant, deux pas en arrière. On redonne au territoire plus ou moins d’autonomie ; on va même jusqu’à reconnaître le droit inné du peuple kanak à l’indépendance… Mais, finalement, beaucoup de promesses non tenues décourageant les Kanak qui voient le terme de l’indépendance s’éloigner de plus en plus.
Loi du 28/12/1976 : Olivier Stirn (secrétaire d’État aux DOM-TOM), restaure quelque peu l’autonomie en conférant de véritables délégations de pouvoirs aux institutions territoriales. Bien que l’État conserve un domaine de compétences considérable – compétence juridique d’attribution –, celui du territoire est de droit commun – et non plus limitativement énuméré comme précédemment (voir tableau «Évolution statutaire ci-dessous»).
Évolution des statuts de la Nouvelle-Calédonie jusqu’aux accords de Matignon (© I. Leblic, 1993 : 56-57)

Le statut Dijoud (mai 1979) laisse la Nouvelle-Calédonie à la porte de l’autonomie en instaurant un moyen terme entres les deux précédentes situations : la loi-cadre (1957) et le statut Jacquinot (1963). Le plan Dijoud est assorti de certaines mesures en faveur de « l’insertion économique des Kanak », avec la création du Fadil (fonds de développement de l’intérieur et des îles). En donnant à l’État des pouvoirs importants, la loi sur l’aménagement foncier et à l’établissement rural en Nouvelle-Calédonie marque un retour en arrière.
Elle fut d’ailleurs abrogée par les ordonnances de 1982 qui instaure les Offices d’État (foncier, culturel et de développement).
L’élection de François Mitterrand à la présidence de la république en 1981 relance le débat institutionnel et les réformes en vue d’effectuer un recentrage politique (7 ordonnances entre octobre et décembre 1982).
Au conseil de gouvernement de Nouvelle-Calédonie, les membres de la FNSC[2] soutiennent ces réformes et, en faisant bloc avec les élus du Front indépendantiste[3], la FNSC provoque un bouleversement de la majorité au conseil de gouvernement, permettant à Jean-Marie Tjibaou de devenir vice-président du conseil, la première fois qu’un indépendantiste arrive ainsi au pouvoir.
Cette nouvelle volonté de réforme débouche sur la table ronde de Nainville-les-Roches en juillet 1983. La déclaration finale du 12 juillet, qui a recueilli l’accord de la FNSC et des indépendantistes et fait l’objet de réserves du RPCR, reconnaît pour la première fois, d’une part, l’abolition du fait colonial et, d’autre part, « la légitimité du peuple kanak, premier occupant du territoire » qui, « en tant que tel », a « un droitinné et actif à l’indépendance dont l’exercice doit se faire sans le cadre de l’autodétermination prévue et définie par la constitution de la république française, autodétermination ouverte également pour des raisons historiques aux autres ethnies[4] dont la légitimité est reconnue par les représentants du peuple kanak ». Enfin, la nécessité d’élaborer un « statut d’autonomie interne transitoire et spécifique » est abordée. Nous y reviendrons.
Fin 1983 – Le Comité des terres de la côte ouest estime avoir récupéré plus de six mille hectares.
Mais la montagne accouche d’une souris et le gouvernement socialiste propose le statut Lemoine, adopté à l’assemblée nationale le 31 juillet 1984, malgré les menaces des indépendantistes de le boycotter, soit un an après Nainville-les-Roches et ses espoirs, bien en deçà des promesses faites et des espérances des indépendantistes kanak.
22-24 septembre 1984 – Fondation du FLNKS qui succède au FI pour s’opposer au statut Lemoine. Il est composé de l’UC, du FULK, de l’UPM, du PSC, du GFKEL, du Comité des terres de la côte ouest, de l’USTKE et du Comité Pierre-Declercq. Le PALIKA le rejoindra plus tard. Le LKS, membre du FI, se retire. Adoption de la charte du FLNKS spécifiant l’indépendance kanak socialiste (IKS) comme objectif.
18 novembre 1984[5] – Boycott actif des élections territoriales par le FLNKS : Éloi Machoro, secrétaire général de l’UC, brise une urne électorale et les Kanak bloquent les routes de Nouvelle-Calédonie par une dizaine de barrages. Le RPCR remporte trente-quatre des quarante-deux sièges de l’Assemblée territoriale. Dick Ukeiwé, l’un des seuls Kanak du RPCR, est élu chef de l’exécutif territorial. La droite calédonienne se convertit alors à l’autonomie interne qu’elle considérait jusque là comme l’antichambre de l’indépendance.
Cela marque le début de ce qu’on appela pudiquement « Les Événements ». Nous y reviendrons.
Merci de nous avoir lu.
[1] Adaptation extraite de Isabelle Leblic, 1993. Les Kanak face au développement. La voie étroite, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
[2] Fédération pour une nouvelle société calédonienne, d’obédience centriste.
[3] Le FI fut créé en 1978. Il rassemble l’Union calédonienne (UC), le Front uni de libération kanak (FULK ), autour de Yann Céléné Uregei, le parti Libération kanak socialiste (lks), essentiellement implanté dans les îles Loyauté, autour de Nidoish Naisseline, ancien leader des Foulards rouges et grand chef de Maré, le PALIKA (Parti de libération kanak, issu du groupe 1878 et des Foulards rouges), l’UPM (Union progressiste mélanésienne, issue de l’Union multiraciale, UM) et le PSC (Parti socialiste calédonien, formé d’indépendantistes d’origine européenne, devenu depuis le PSK, Parti socialiste de Kanaky).
[4] C’est à partir de ce moment que le FI a parlé des « victimes de l’Histoire, c’est-à-dire les personnes nées sur le territoire dont l’un des parents au moins y est né également ».
[5] Nous reviendrons dans un autre billet sur le 18 novembre 1984 en lui-même.