Waixen Wayewol. Nouméa.
Lettre ouverte au peuple de France pour Solidarité entre nos peuples
Peuple de France vous êtes déjà aujourd’hui nombreux à être informé de ce qui se passe ici en Kanaky. Il y en a encore qui ne le sont pas suffisamment, ou pas encore, c’est à eux là aussi que moi citoyen kanak j’adresse cette lettre ouverte. La solidarité et les liens d’amitiés entre le peuple Kanak et le peuple de France sont indéfectibles.
L’armée sert à la défense de la souveraineté nationale quand l’intégrité de son territoire est menacée. La Kanaky est une terre annexée par l’Etat colonial français depuis 1853, comme la France l’a été par l’Allemagne nazie en 1940. La Kanaky n’est pas un territoire français. Il y a un peuple premier qui était déjà là, de la civilisation du Lapita depuis plus de 3000 ans. Il s’est socialement organisé dans le pays avec ses clans, ses institutions et ses règles coutumières, orales fussent-elles. Une civilisation de l’oralité où les savoirs et connaissances se transmettent de génération en génération. Rien ne se perd, tout se transforme. Nos ancêtres l’avaient déjà intégrés pour paraphraser Albert Einstein. C’est aussi un peuple d’eau et de la terre.
Quand l’armée est requise pour mater la revendication de droit du peuple kanak en participant à des assassinats, elle ne défend pas sa patrie, elle défend un ordre colonial, quoi que dise les analyses savantes d’experts érudits. Elle est hors la loi et hors contrôle du cadre républicain. Le peuple de France hérite d’une riche histoire, controversée, mais aussi inspirée de ce que lui lègue le siècle des Lumières qui a abouti à la révolution et à la déclaration des droits de l’homme. Le peuple kanak a besoin de son soutien solidaire. Il continuera de vous informer par ses canaux officiels, via les institutions républicaines, et par son organisation politique interne.
Il y a des choses qui sont dites et faites en votre nom. Elles ne sont pas dignes du siècle de notre temps, ni de l’image que vous vous faîtes à tort de nous en tant que citoyens français. On parle de guerre civile, mais contre qui ? Nos enfants ne sont pas armés. Nos enfants ont bien compris qu’on les pousse par ce genre de provocation pour justifier une militarisation à outrance, une répression meurtrière et une pacification par la force des armes. On ne sortira pas grandi de la logique de confrontation, c’est un paradigme stupide et absurde. Que voulez-vous que nous petit peuple d’à peine 100 000 âmes, puissions peser dans un rapport de force où les militaires sont numériquement deux à trois fois plus nombreux que nous. Nous résigner et abdiquer ! Non car c’est notre droit à l’autodétermination tel que préconise également le droit international. On ne veut pas tomber dans le piège grossier de la manipulation provoquée par ces groupuscules fascisants des milices commanditées par des responsables politiques loyalistes de la Province sud qui sont déjà identifiés. La justice doit faire son travail. Des responsables politiques qui sont déjà comptables de l’assassinat de nos huit enfants. D’autres enfants sont encore portés disparus et à ce jour les familles continuent leur recherche.
C’est un naufrage collectif. Les institutions républicaines ont été trahies par des visions égocentriques, jusqu’au boutisme, insuffisamment créatives et inventives qui ont délibérément stopper le processus de paix de l’accord de Nouméa. Une occasion manquée pour réussir une fois dans son histoire politique française, une décolonisation pacifique. Nous devinons les enjeux qui sont derrière, mais nous laissons le peuple de France les décrypter lui-même. Il le saura tôt ou tard. Quel dommage et quel gâchis ! On avait là un laboratoire de décolonisation inédit, et une reformulation des liens par sui generis qui aurait jalousé d’envie positivement la planète entière. Le peuple kanak a seulement formulé la demande d’un accompagnement sincère et équilibré par le peuple de France pour combler le retard pris par le pays dans son émancipation et sortir de la sphère de dépendance à sens unique et de l’économie de comptoir. La cause est essentiellement politique pour arrimer correctement le décollage économique afin qu’il en soit le bon carburant pour entraîner le pays dans son processus de développement raisonné et maitrisé. A ce défi, on a préféré comme dit mon ami, mettre en pratique le paradoxe de Zénon dans la course folle d’Achille pour ne jamais pouvoir rattraper la tortue qui a tellement pris de l’avance. Pour Albert Einstein seules deux choses sont infinies. L’univers et la stupidité de l’homme qui prétend tout savoir, mais rien ne fonctionne comme ça devrait l’être.
Le peuple kanak est un peuple de résilience, de résistance, de non-violence. Il se bat pour son droit, contre un système d’oppression et non contre le peuple de France. Et s’il y a eu de la violence, c’est parce qu’on l’a acculé au pieds du mur, et ainsi légitimer sa défense. Pardon au peuple souverain de France si nous vous avons quelque part offensé, mais notre histoire commune de 170 ans n’a pas que des zones d’ombres, il y a eu aussi des zones de lumière qu’il faut continuer à entretenir, l’espoir fait vivre et la vie est sacrée. En mémoire à nos enfants assassinés par le colonialisme, la flamme de l’espoir ne doit pas s’éteindre et le combat ne doit pas s’arrêter faute de combattants, dixit Eloi Machoro. L’indépendance est le droit le plus absolu du peuple kanak colonisé et annexé par l’occupation coloniale. La résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’ONU, le peuple kanak est en droit s’exercer son droit inné et actif à l’autodétermination par l’acquisition de tout statut politique librement décidé. Le peuple kanak dans sa large majorité (90%) est pour l’exercice de ce droit-là.
Pour conclure :
C’est à vous les millions de français que le peuple kanak s’adresse directement aujourd’hui car il a besoin du soutien et de la solidarité du peuple de France et de tous les peuples du monde entier. Le président Macron veut un référendum national. Chiche alors ! On relèvera ensemble et séparément ce défi, le peuple Français fort de ses 67 millions d’habitants et le peuple côté avec ses 150 000 âmes. Il serait alors instructif de décortiquer les résultats dans tous ses détails. Pour mémoire il est toujours intéressant de faire un petit retour en arrière s’agissant d’un référendum national portant sur le pays.
Le référendum du 6 novembre 1988 sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie a permis d’entériner les Accords de Matignon du 26 juin 1988 et la loi référendaire qui les a suivis, lesquels donnaient un nouveau statut transitoire pour dix ans, en attendant la tenue d’une consultation d’autodétermination avec corps électoral limité aux résidents avant 1995. Le projet avait été soumis au référendum par le décret du 5 octobre 1988 signé par le Président de la République. Les accords de Matignon se sont prolongés par accord consensuel avec l’accord de Nouméa constitutionalisé avec le cops électoral figé, qui nécessite forcément une discussion et un accord consensuel pour son élargissement ou son ouverture, du domaine donc des possibles. Le peuple français a déjà approuvé l’accord politique à plus de 79%. Ma foi si le peuple français devait encore être consulté sur la même question, on ne devrait pas se déjuger sur la même question globale parce que le fond du problème reste inchangé.
Waixen Wayewol
Nouméa le 05/06/2024
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